mercredi 27 octobre 2010

Les camps sahraouis de la protestation et leurs conséquences sur le processus de paix

Le 26 octobre 2010
Les camps sahraouis de la protestation

Les camps sahraouis de la protestation récemment créés dans les Territoires Occupés du Sahara Occidental présentent la plus claire menace d'un retour à la violence dans la région, à mesure que la situation devient de plus en plus politisée et instable. Depuis le 9 octobre, des milliers de Sahraouis des villes sous contrôle marocain d'El Aaiun, Boujdour et Smara au Sahara Occidental ont quitté leurs foyers et mis en place des camps temporaires pour protester contre ce qu'ils considèrent comme une politique économique et sociale injuste de la part des autorités marocaines. Ce qui a commencé comme un acte de protestation d’une douzaine de Sahraouis est devenu l’une des plus grande - sinon la plus importante - manifestation non-violente des sahraouis dans les «Territoires Occupés » depuis le début de la guerre en 1975. Depuis que les camps ont été installés, les services de sécurité du Maroc et les Forces Armées Royales marocaines [FAR] les ont entourés de points de contrôle et de périmètres. Les autorités marocaines affirment que ces mesures sont destinées à maintenir l'ordre dans les camps, tandis que le Front Polisario affirme que les Marocains tentent d’empêcher d'autres manifestants de se joindre aux camps.

Il y a un désaccord considérable quant au nombre de manifestants présents dans les camps. Le rapport officiel marocain en cite 1 200, et les Sahraouis se déclarent plus de 20 000. Au-delà des débats sur les chiffres cependant, les sources d’informations officielles du Front Polisario et du Royaume du Maroc ont toutes deux tenté d'utiliser les camps de la protestation en soutien de leurs positions relatives, puisque peu de d’agences de presse internationales ont couvert l'exode. Le Conseil Royal Consultatif des Affaires Sahariennes du Roi Mohammed VI [CORCAS] et Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement, ont affirmé que cet acte de protestation par les Sahraouis était « un moyen normal d'exprimer des exigences socio-économiques » et une preuve du « climat de liberté et de démocratie qui prévaut dans cette région, comme dans toutes les autres parties du Royaume. » Naciri a également affirmé que le gouvernement rencontrait les dirigeants des camps pour tenter de trouver les moyens de répondre aux demandes sahraouies qu'il a qualifiées de légitimes. Il est à noter qu’aucun des articles marocains sur les camps de la protestation ne fait référence aux occupants du camp comme Sahraouis, mais les appellent plutôt « citoyens marocains » ou simplement « manifestants ».

Pour sa part, le Front Polisario ne s’est pas publiquement attribué ce mouvement ni fait de lien direct entre les camps de protestations et le Polisario. Au contraire, le Front a insisté sur le siège militaire étroit, que le Maroc faisait subir aux manifestants, empêchant l'entrée de l'eau, de la nourriture et de médicaments dans le camp. Selon des sources sahraouies, les soldats marocains entourant les camps ont utilisé « des balles réelles, des pierres, des bouteilles en verre et des matraques » contre une caravane qui tentait d’apporter des fournitures aux manifestants. Mohamed Abdelaziz, Secrétaire Général du Front Polisario, a adressé une lettre à Ban Ki Moon, lui demandant « d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard pour sauver la vie des dizaines de milliers de citoyens sahraouis sans défense, actuellement en grand danger en raison du blocus, des restrictions, de la famine mais aussi des interventions militaires et de sécurité. » Dans un article publié sur le site Web du Sahara Presse Service - le site officiel de Ministère de l'Information de la République Arabe Sahraouie Démocratique [RASD], le gouvernement en exil des Sahraouis - le Secrétaire National du Front Polisario « a salué chaleureusement l'héroïque résistance nationale Sahraouie contre l'occupation marocaine dans le Sahara Occidental occupé », suggérant clairement que les revendications des manifestants sont d'ordre politique.

Néanmoins, à ce moment, les exigences des Sahraouis qui ont dressé les camps semblaient être essentiellement de nature socioéconomique. L'agence de presse en langue espagnole EFE a publié un article - repris dans un certain nombre de périodiques espagnols - qui déclarait que les campements de tentes n’avaient pour objet qu’une protestation strictement sociale, axée exclusivement sur le logement et l'emploi. Cet article citait également des sources sahraouies confirmant qu'une délégation marocaine du Ministère de l'Intérieur avait été envoyée pour parler avec les dirigeants des camps de la protestation, mais qu’aucun accord n'avait encore été atteint.

L'état de tension entourant les camps de fortune s’est accru le 24 octobre, quand les soldats marocains ont tiré sur une voiture qui ne s’est pas arrêtée à un barrage marocain, et tué un garçon sahraoui de 14 ans nommé Nayem el-Garhi. Dans un article publié par l'Associated Press, ce fait a été corroboré par un officiel marocain anonyme. Les détails exacts entourant le décès de l'enfant n'ont pas encore été rendus public, mais l'affaire menace davantage ce que les Sahraouis appellent une situation de « ni guerre, ni paix ».

Implications sur le conflit et le processus de paix

Les camps de la protestation et la réaction des deux parties au conflit mettent en évidence un certain nombre de réalités entourant le conflit et ont plusieurs conséquences sur le processus de résolution du conflit. Tout d'abord, les rapports très disparates sur le nombre et sur les événements spécifiques ayant eu lieu au sein et autour des camps mettent en évidence la nécessité de la présence de médias internationaux dans les zones du Sahara Occidental sous contrôle marocain. Alors que la communauté internationale est tributaire des sources officielles et non-officielles des deux parties au conflit, il est impossible de discerner se qui se passe exactement. Alors que les autorités marocaines restreignent l'accès de la région aux journalistes, le manque d'intérêt des médias internationaux est tout aussi digne de blâme. Malheureusement, l'assassinat de Nayem el-Garhi peut être le genre d'événement qui attire enfin l'attention de la communauté internationale, quand le sang ouvre les oreilles et rend les yeux méfiants. Cette action radicale de milliers de Sahraouis et la réaction du gouvernement marocain peuvent donner l’impulsion nécessaire pour remettre le Sahara Occidental sur les écrans des radars du reste du monde.

En outre, comme c'est habituellement le cas au Sahara Occidental, les deux côtés tentent d'utiliser la manifestation pour soutenir leur propre image et de discréditer l'autre. En refusant d'identifier les manifestants comme Sahraouis et en les appelant « citoyens » le Maroc montre qu’il n'est pas disposé à reconnaître cette réalité juridique internationale qu’aucun autre pays – pas même la France son plus proche allié – ne reconnaît le contrôle officiel du Maroc sur le Sahara Occidental. L’appellation par le Polisario des camps de la protestation comme « camps de l'indépendance » montre que le groupe identifie rapidement tout type de résistance à un appel à l'indépendance. Selon des sources sahraouies vivant sous le contrôle Marocain de facto, la plupart des Sahraouis soutiennent le Front Polisario et désirent l'autodétermination, mais l’on ne peut pas nier le fait que les manifestants dans les camps demandaient expressément l'amélioration du logement et de l'emploi.

Toutefois, il est impossible de nier que les politiques socio-économiques contre lesquelles les Sahraouis protestent ont des racines politiques. L'immigration de centaines de milliers de citoyens marocains au Sahara Occidental - encouragés par les emplois et les exonérations d'impôt offerts par le gouvernement - réduit clairement la probabilité du maintien pour les Sahraouis de travail et de niveau de vie auquel ils pourraient prétendre dans un fonctionnement normal du gouvernement. Si les Sahraouis contrôlaient leur propre territoire et ses ressources naturelles, il est hautement improbable que la population sahraouie aurait à déplorer les échecs sociaux économiques d'une discrimination systématique, comme c'est actuellement le cas. En outre, comme cela a été le cas lors de manifestations précédentes au Sahara occidental, même si les questions initiales sont de natures sociales ou économiques, une réaction disproportionnée des forces de sécurité marocaines change souvent le sens de la protestation pour une revendication de l'indépendance.

L'exclusion socio-économique qui a conduit à la création de ces camps temporaires n’est pas de bon augure pour la proposition marocaine d'autonomie, quand la monarchie n'a donné aucune raison de croire que si le Sahara occidental devenait une région autonome du Royaume, la discrimination systémique contre les Sahraouis prendrait soudainement fin. Il sera également plus difficile au Royaume de continuer à affirmer que la majorité des Sahraouis est satisfaite de vivre sous domination marocaine, quand un tel exode de masse n’est pas la forme habituelle de protestation de personnes satisfaites, ou même de citoyens légèrement mécontents.

Les camps de protestations auront probablement un effet négatif sur les efforts de l'Envoyé personnel de l'ONU, Christopher Ross, pour convaincre les deux parties au conflit à négocier de bonne foi. Comme le débat sur l'inclusion de la surveillance des droits de l'homme dans le mandat de la Mission de l'ONU pour un Référendum au Sahara Occidental [MINURSO], tout point de discorde qui reçoit une attention internationale retranche immédiatement les deux parties plus profondément dans leurs positions respectives. Les camps ajoutent un atout considérable à l’arsenal d'accusations du Polisario contre le Maroc, tout en mettant le Royaume nerveusement sur la défensive. En outre, comme le Maroc devient de plus en plus contesté par les Sahraouis qui vivent sous son de contrôle, et que le Polisario est moins disposé à la confiance dans ses homologues marocains, les camps de protestation ne sont pas de bon augure pour la reprise des visites familiales et d'autres mesures de confiance [MDC], que Ross et son équipe ont essayées de relancer depuis leur suspension en mars dernier.

Peut-être plus important encore, la construction de ces camps reflète une nouvelle réalité imposée par l'opposition sahraouie au contrôle du Maroc sur le Sahara Occidental depuis 2001: un changement d'orientation de la résistance du Front Polisario et la RASD - à la fois de les camps de Tindouf et de missions diplomatiques à l'étranger – vers le quotidien des Sahraouis qui vivent sous contrôle marocain. En 2001 et en 2005, deux manifestations de grande ampleur ont éclaté, appelées Intifadas par les Sahraouis. Jusque-là, les Sahraouis avaient seulement mené des petits actes de résistance, mais ces deux révoltes ont duré pendant des jours et - même si elles ont été initialement déclanchées par les étudiants et les travailleurs contre les politiques d'éducation et d'emploi - elles ont rapidement pris une nature plus politique. Depuis 2005, le mouvement sahraoui de résistance non-violente est devenu de plus en plus organisé, et les dirigeants du Polisario ont reconnu que le mouvement interne est devenu central dans leur démarche pour obtenir l'autodétermination du Sahara Occidental. Les camps de protestation représentent un progrès énorme dans l'organisation des activistes sahraouis du Sahara Occidental et dans leur volonté de prendre des risques collectifs. Alors que Le Maroc se satisfait du statu quo, en gardant le Polisario à bout de bras en Algérie et en utilisant l’existence du groupe pour justifier la présence de plus de 120.000 soldats au Sahara Occidental, c'est la résistance interne qui menace le plus directement l’assurance du trône marocain. Les camps de la protestation traduisent ainsi un changement considérable dans la nature du conflit.

Pour finir, les camps de la protestation ont également le potentiel de conduire à une situation plus instable et violente. Le Polisario a souvent menacé de retourner à la guerre pour reprendre la patrie des Sahraouis, mais s’est montré jusqu’à maintenant peu enclin à le faire. Des meurtres malheureux comme celui de Nayem el-Garhi peut créer une étincelle dans le Sahara Occidental lui-même, produisant une spirale de violence. En outre, comme de nombreux Sahraouis continuent à rejoindre les camps de la protestation, la probabilité d'un autre incident violent entre les forces de sécurité et les occupants du camp augmente. Si une plus grande violence éclate, il restera à voir si le Polisario utilisera l’Armée de Libération du Peuple Sahraoui [ALPS] pour venir à la défense des manifestants. Quoi qu’il en soit, ce groupe de manifestants sahraouis dans le désert et le nombre croissant de troupes marocaines entourant les camps, présente un environnement particulièrement instable qui a tout le potentiel pour exploser.

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Phone: (703) 729-2974 E-mail: staff@statehoodandfreedom.org www.statehoodandfreedom.org
Traduction APSO.

Articles sur les campements de la protestation
Associated Press
“Group says Moroccan security officials in contested Western Sahara shoot and kill teen”: http://www.google.com/hostednews/canadianpress/article/ALeqM5g-QWeS9X_0RvGScfJl6M-s8xCCIw?docId=4933390

Business Day
“Western Sahara tense after soldiers shoot boy”:
http://www.businessday.co.za/articles/Content.aspx?id=124780

EFE
“Autoridades y saharauis negocian para demantelar campamento de protesta”:
http://noticias.terra.com.ar/sociedad/autoridades-y-saharauis-negocian-para-desmantelar-campamento-de-protesta,97d9d3d2c30db210VgnVCM3000009af154d0RCRD.html

Maghreb Arab Press Agency [MAP]
“Citizens pitching tents outside laayun, means of voicing normal social demands, official”:
http://www.map.ma/eng/sections/sahara/citizens_pitching_te/view
“Moroccan NGO warns against politicizing makeshift camp in outskirts of Laayun”:
http://www.map.ma/eng/sections/see_also/moroccan_ngo_warns_a/view

Royal Advisory Council for Saharan Affairs [CORCAS]
“Pitching tents near Laayoune, part of the climate of freedom that prevails in Morocco (local sources)”:
http://www.corcas.com/eng/WesternSaharaPoliticalAffairs/tabid/486/ctl/Details/mid/1636/ItemID/14208/Default.aspx

Sahara Press Service [SPS]
“Mass exodus of Saharawi citizens towards Independence Camp continues amid tight military siege”:
http://www.spsrasd.info/en/detail.php?id=14128
“Polisario Front warns of humanitarian disaster in Saharawi exodus camps”:
http://www.spsrasd.info/en/detail.php?id=14133
“Polisario reiterates its call for UN to prevent new massacres in Western Sahara”:
http://www.spsrasd.info/en/detail.php?id=14165

Saharawi Journalists and Writers Union [UPES]
“Moroccan army uses live ammunition against arrivals to camp of Sahrawi exodus”:
http://www.upesonline.info/bodyindex_eng.asp?id=300&field=sec_eng
“UK MPs condemn Teenager’s death as Moroccan forces open fire on Saharawi protestors”:
http://www.upesonline.info/bodyindex_eng.asp?id=304&field=sec_eng

Western Sahara Resource Watch [WSRW]
“Exodus in protest of the pillage”:
http://www.wsrw.org/index.php?cat=105&art=1632

YouTube
“les sahraouis assiégés” [French video on the camps]
http://www.youtube.com/watch?v=rc4DG39dv8w

Amis du Peuple du Sahara Occidental (APSO)
Assassinat d’un enfant, le prix de la paix ?
http://ap-so.blogspot.com/2010/10/assassinat-dun-enfant-sahraoui-le-prix.html
Campements sahraouis de la résistance, pacifisme contre violence
http://ap-so.blogspot.com/2010/10/campements-sahraouis-de-la-resistance.html
Au Sahara Occidental, même le désert est interdit aux Sahraouis
http://ap-so.blogspot.com/2010/10/au-sahara-occupe-meme-le-desert-est.html
Photos et vidéos sur http://apsoinfo.blogspot.com et http://apsophotos.blogspot.com