Cour
de justice de l’Union européenne
COMMUNIQUE DE PRESSE n° 94/16
Luxembourg,
le 13 septembre 2016
Conclusions
de l'avocat général dans l'affaire C-104/16 P
Conseil
/ Front Polisario
Selon l’avocat général Wathelet, ni l’accord d’association UE-Maroc
ni l’accord UE-Maroc sur la libéralisation des échanges des produits agricoles
et de la pêche ne s’appliquent au Sahara occidental
L’avocat général propose donc à la Cour d’annuler l’arrêt du
Tribunal ayant jugé que ces accords s’appliquent à ce territoire
Le
Sahara occidental est un territoire du nord-ouest de l’Afrique, bordé par le
Maroc au nord, l’Algérie au nord-est, la Mauritanie à l’est et au sud, et
l’Atlantique à l’ouest. Actuellement, la plus grande partie du Sahara
occidental est contrôlée par le Maroc qui considère en être le souverain. Une
partie de moindre taille et très peu peuplée du Sahara occidental, située à
l’est du territoire, est contrôlée par le Front Polisario, une organisation qui
vise à obtenir l’indépendance du Sahara occidental.
L’Union
européenne et le Maroc ont conclu en 2012 un accord prévoyant des mesures de
libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits
agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche (« accord de
libéralisation »). Cet accord, dont le champ d’application territorial dépend
de celui de l’accord d’association UE-Maroc1, a été formellement conclu par l’Union
européenne par le bais d’une décision du Conseil2.
Le
Front Polisario a saisi le Tribunal de l’Union européenne pour demander
l’annulation de cette décision. Par son arrêt rendu le 10 décembre 20153, le Tribunal a
annulé la décision en question en ce qu’elle approuve l’application de l’accord
de libéralisation au Sahara occidental. En particulier, le Tribunal a considéré
que le Conseil avait manqué à son obligation d’examiner, avant la conclusion de
cet accord, s’il n’existait pas d’indices d’une exploitation des ressources
naturelles du territoire du Sahara occidental sous contrôle marocain
susceptible de se faire au détriment de ses habitants et de porter atteinte à
leurs droits fondamentaux.
Le
Conseil a introduit un pourvoi devant la Cour de justice à l’encontre de
l’arrêt du Tribunal.
Dans
ses conclusions lues ce jour, l’avocat général Melchior Wathelet considère que le
Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Maroc et que, partant, contrairement
à ce qui a été constaté par le Tribunal, ni l’accord d’association UE-Maroc
ni l’accord de libéralisation ne lui sont applicables.
En
effet, en premier lieu, l’avocat général constate que le Sahara occidental est,
depuis 1963, inscrit par l’ONU sur sa liste des territoires non autonomes, qui
relèvent du champ d’application de sa résolution portant sur l’exercice du
droit à l’autodétermination par les peuples coloniaux4. S’agissant de
la question de savoir si la portée des traités ou accords internationaux
conclus par les États administrant des territoires non autonomes s’étend également
à ces territoires, l’avocat général relève que la pratique de la majorité de
ces États démontre qu’une telle extension est subordonnée à sa prévision
expresse lors de la ratification des traités ou accords. Or, les deux accords
précités ne comportent aucune disposition visant à étendre leur champ
d’application au Sahara occidental et une telle extension n’a pas été prévue
non plus lors de la ratification de ces accords par le Maroc.
En
deuxième lieu, l’avocat général souligne que l’Union et ses États membres n’ont
jamais reconnu
que le Sahara occidental fait partie du Maroc ou relève de sa souveraineté.
En
troisième lieu, l’avocat général réfute les arguments selon lesquels la
reconnaissance de l’extension de la portée des deux accords en cause au Sahara
occidental s’impose au motif que ces accords seraient de toute manière
appliqués, de fait, à ce territoire. En effet, les éléments examinés dans la
présente affaire ne suffisent pas pour établir l’existence d’une pratique
générale et de longue durée qui irait, en toute connaissance des parties
concernées, à l’encontre des termes mêmes de ces accords, termes qui limitent
le champ d’application des accords au seul territoire du Maroc. Or, seule une
telle pratique serait susceptible de constituer un nouvel accord entre les
parties sur l’extension du champ d’application territorial des deux accords
précités.
En
quatrième lieu, l’avocat général rappelle que, en principe, le droit
international ne permet pas d’étendre le champ d’application d’un traité bilatéral
à un territoire qui constitue une partie tierce par rapport aux parties au
traité. Or, le Sahara occidental constitue précisément un tel territoire par
rapport à l’Union et au Maroc.
En
raison de l’inapplicabilité des accords précités au Sahara occidental, l’avocat
général propose à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal et de rejeter le
recours du Front Polisario comme irrecevable car ce dernier n’a plus d’intérêt
à faire annuler la décision contestée.
Par
ailleurs, même si les deux accords étaient applicables au Sahara occidental,
l’avocat général est d’avis que le Front Polisario n’est pas directement et
individuellement concerné par la décision litigieuse et que, partant, son
recours devrait également être rejeté à ce titre. En effet, le Front Polisario
n’est reconnu par la communauté internationale que comme le représentant du
peuple du Sahara occidental dans le processus politique destiné à résoudre la
question de l’autodétermination du peuple de ce territoire et non comme ayant
vocation à défendre les intérêts commerciaux de ce peuple. De plus, le Front
Polisario ne semble pas être un représentant exclusif du peuple du Sahara
occidental dans les relations internationales car il n’est pas exclu que
l’Espagne, ancien colonisateur de ce territoire, détienne encore des
responsabilités à cet égard.
Pour
le cas où la Cour déciderait que les accords en cause sont tout de même
applicables au Sahara occidental et que le Front Polisario est habilité à
contester la décision litigieuse, l’avocat général relève, à l’instar du
Tribunal, que le Conseil a manqué à son obligation d’examiner tous les
éléments pertinents des circonstances de la conclusion de l’accord de
libéralisation. En particulier, bien que, contrairement à ce qui a été
décidé par le Tribunal, le Conseil ne fût pas tenu d’évaluer les effets de la
conclusion de cet accord sur l’exploitation des ressources naturelles du Sahara
occidental, il aurait dû prendre en compte la situation des droits de
l’homme dans ce territoire ainsi que l’impact potentiel de l’accord sur cette
situation. Dans cette hypothèse, l’avocat général estime que le Tribunal
a procédé à juste titre à l’annulation partielle de la décision contestée en
ce qu’elle approuve l’application de l’accord de libéralisation au Sahara
occidental, si bien que le pourvoi du Conseil doit être rejeté comme non
fondé.
1 Accord
euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés
européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre
part, signé à Bruxelles le 26 février 1996 et approuvé au nom desdites
Communautés par la décision 2000/204/CE, CECA du Conseil et de la Commission,
du 24 janvier 2000 (JO 2000, L 70, p. 1)
2 Décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la
conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne
et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en
matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons
et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1, 2
et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen
établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États
membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO 2012, L 241, p.
2)
3 Arrêt du Tribunal du 10 décembre 2015, Front Polisario/Conseil (T-512/12).
4 Résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 14 décembre 1960,
1514 (XV) sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
RAPPEL: Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de
justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en
toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont
chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette
affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.
RAPPEL : La Cour de justice peut être saisie d'un pourvoi, limité aux
questions de droit, contre un arrêt ou une ordonnance du Tribunal. En principe,
le pourvoi n'a pas d'effet suspensif. S'il est recevable et fondé, la Cour
annule la décision du Tribunal. Dans le cas où l'affaire est en état d'être
jugée, la Cour peut trancher elle-même définitivement le litige. Dans le cas
contraire, elle renvoie l'affaire au Tribunal, qui est lié par la décision
rendue par la Cour dans le cadre du pourvoi.
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