mardi 13 septembre 2016

L'avocat général CJUE sur la légalité des accords UE-Maroc



Cour de justice de l’Union européenne
COMMUNIQUE DE PRESSE n° 94/16
Luxembourg, le 13 septembre 2016

Conclusions de l'avocat général dans l'affaire C-104/16 P
Conseil / Front Polisario

Selon l’avocat général Wathelet, ni l’accord d’association UE-Maroc ni l’accord UE-Maroc sur la libéralisation des échanges des produits agricoles et de la pêche ne s’appliquent au Sahara occidental

L’avocat général propose donc à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal ayant jugé que ces accords s’appliquent à ce territoire

Le Sahara occidental est un territoire du nord-ouest de l’Afrique, bordé par le Maroc au nord, l’Algérie au nord-est, la Mauritanie à l’est et au sud, et l’Atlantique à l’ouest. Actuellement, la plus grande partie du Sahara occidental est contrôlée par le Maroc qui considère en être le souverain. Une partie de moindre taille et très peu peuplée du Sahara occidental, située à l’est du territoire, est contrôlée par le Front Polisario, une organisation qui vise à obtenir l’indépendance du Sahara occidental.

L’Union européenne et le Maroc ont conclu en 2012 un accord prévoyant des mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche (« accord de libéralisation »). Cet accord, dont le champ d’application territorial dépend de celui de l’accord d’association UE-Maroc1, a été formellement conclu par l’Union européenne par le bais d’une décision du Conseil2.

Le Front Polisario a saisi le Tribunal de l’Union européenne pour demander l’annulation de cette décision. Par son arrêt rendu le 10 décembre 20153, le Tribunal a annulé la décision en question en ce qu’elle approuve l’application de l’accord de libéralisation au Sahara occidental. En particulier, le Tribunal a considéré que le Conseil avait manqué à son obligation d’examiner, avant la conclusion de cet accord, s’il n’existait pas d’indices d’une exploitation des ressources naturelles du territoire du Sahara occidental sous contrôle marocain susceptible de se faire au détriment de ses habitants et de porter atteinte à leurs droits fondamentaux.

Le Conseil a introduit un pourvoi devant la Cour de justice à l’encontre de l’arrêt du Tribunal.
Dans ses conclusions lues ce jour, l’avocat général Melchior Wathelet considère que le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Maroc et que, partant, contrairement à ce qui a été constaté par le Tribunal, ni l’accord d’association UE-Maroc ni l’accord de libéralisation ne lui sont applicables.

En effet, en premier lieu, l’avocat général constate que le Sahara occidental est, depuis 1963, inscrit par l’ONU sur sa liste des territoires non autonomes, qui relèvent du champ d’application de sa résolution portant sur l’exercice du droit à l’autodétermination par les peuples coloniaux4. S’agissant de la question de savoir si la portée des traités ou accords internationaux conclus par les États administrant des territoires non autonomes s’étend également à ces territoires, l’avocat général relève que la pratique de la majorité de ces États démontre qu’une telle extension est subordonnée à sa prévision expresse lors de la ratification des traités ou accords. Or, les deux accords précités ne comportent aucune disposition visant à étendre leur champ d’application au Sahara occidental et une telle extension n’a pas été prévue non plus lors de la ratification de ces accords par le Maroc.

En deuxième lieu, l’avocat général souligne que l’Union et ses États membres n’ont jamais reconnu que le Sahara occidental fait partie du Maroc ou relève de sa souveraineté.

En troisième lieu, l’avocat général réfute les arguments selon lesquels la reconnaissance de l’extension de la portée des deux accords en cause au Sahara occidental s’impose au motif que ces accords seraient de toute manière appliqués, de fait, à ce territoire. En effet, les éléments examinés dans la présente affaire ne suffisent pas pour établir l’existence d’une pratique générale et de longue durée qui irait, en toute connaissance des parties concernées, à l’encontre des termes mêmes de ces accords, termes qui limitent le champ d’application des accords au seul territoire du Maroc. Or, seule une telle pratique serait susceptible de constituer un nouvel accord entre les parties sur l’extension du champ d’application territorial des deux accords précités.

En quatrième lieu, l’avocat général rappelle que, en principe, le droit international ne permet pas d’étendre le champ d’application d’un traité bilatéral à un territoire qui constitue une partie tierce par rapport aux parties au traité. Or, le Sahara occidental constitue précisément un tel territoire par rapport à l’Union et au Maroc.

En raison de l’inapplicabilité des accords précités au Sahara occidental, l’avocat général propose à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal et de rejeter le recours du Front Polisario comme irrecevable car ce dernier n’a plus d’intérêt à faire annuler la décision contestée.

Par ailleurs, même si les deux accords étaient applicables au Sahara occidental, l’avocat général est d’avis que le Front Polisario n’est pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse et que, partant, son recours devrait également être rejeté à ce titre. En effet, le Front Polisario n’est reconnu par la communauté internationale que comme le représentant du peuple du Sahara occidental dans le processus politique destiné à résoudre la question de l’autodétermination du peuple de ce territoire et non comme ayant vocation à défendre les intérêts commerciaux de ce peuple. De plus, le Front Polisario ne semble pas être un représentant exclusif du peuple du Sahara occidental dans les relations internationales car il n’est pas exclu que l’Espagne, ancien colonisateur de ce territoire, détienne encore des responsabilités à cet égard.

Pour le cas où la Cour déciderait que les accords en cause sont tout de même applicables au Sahara occidental et que le Front Polisario est habilité à contester la décision litigieuse, l’avocat général relève, à l’instar du Tribunal, que le Conseil a manqué à son obligation d’examiner tous les éléments pertinents des circonstances de la conclusion de l’accord de libéralisation. En particulier, bien que, contrairement à ce qui a été décidé par le Tribunal, le Conseil ne fût pas tenu d’évaluer les effets de la conclusion de cet accord sur l’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental, il aurait dû prendre en compte la situation des droits de l’homme dans ce territoire ainsi que l’impact potentiel de l’accord sur cette situation. Dans cette hypothèse, l’avocat général estime que le Tribunal a procédé à juste titre à l’annulation partielle de la décision contestée en ce qu’elle approuve l’application de l’accord de libéralisation au Sahara occidental, si bien que le pourvoi du Conseil doit être rejeté comme non fondé.

 1 Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, signé à Bruxelles le 26 février 1996 et approuvé au nom desdites Communautés par la décision 2000/204/CE, CECA du Conseil et de la Commission, du 24 janvier 2000 (JO 2000, L 70, p. 1)
2 Décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO 2012, L 241, p. 2)
3 Arrêt du Tribunal du 10 décembre 2015, Front Polisario/Conseil (T-512/12).
4 Résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 14 décembre 1960, 1514 (XV) sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.

RAPPEL: Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.
RAPPEL : La Cour de justice peut être saisie d'un pourvoi, limité aux questions de droit, contre un arrêt ou une ordonnance du Tribunal. En principe, le pourvoi n'a pas d'effet suspensif. S'il est recevable et fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Dans le cas où l'affaire est en état d'être jugée, la Cour peut trancher elle-même définitivement le litige. Dans le cas contraire, elle renvoie l'affaire au Tribunal, qui est lié par la décision rendue par la Cour dans le cadre du pourvoi.

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le texte complet de l'avis : http://wsrw.org/files/dated/2016-09-13/advocate-general_opinion_13.09.2016.pdf