http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=172870&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first%E2%88%82=1&cid=164110
LE TRIBUNAL (huitième chambre) déclare et arrête :
1) La
décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la
conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union
européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation
réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles
transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des
protocoles nos 1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux
modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association
entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part,
et le Royaume du Maroc, d’autre part, est annulée en ce qu’elle approuve
l’application dudit accord au Sahara occidental.
2) Le
Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne supporteront
chacun leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Front
populaire pour la libération de la saguia-el-hamra et du rio de oro
(Front Polisario).
Intégralité du jugement cidessous.
ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)
10 décembre 2015 (*)
« Relations
extérieures – Accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union et
le Maroc – Libéralisation réciproque en matière de produits agricoles,
de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la
pêche – Application de l’accord au Sahara occidental – Front Polisario –
Recours en annulation – Capacité à agir – Affectation directe et
individuelle – Recevabilité – Conformité avec le droit international –
Obligation de motivation – Droits de la défense »
Dans l’affaire T‑512/12,
Front populaire pour la libération de la saguia-el-hamra et du rio de oro (Front Polisario), représenté initialement par Mes C.-E. Hafiz et G. Devers, puis par Me Devers, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou, M. Á. de Elera-San Miguel Hurtado, Mmes A. Westerhof Löfflerová et N. Rouam, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par
Commission européenne,
représentée initialement par MM. F. Castillo de la Torre, E. Paasivirta
et D. Stefanov, puis par MM. Castillo de la Torre et Paasivirta, en
qualité d’agents,
partie intervenante,
ayant
pour objet une demande d’annulation de la décision 2012/497/UE du
Conseil, du 8 mars 2012, concernant la conclusion de l’accord sous forme
d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc
relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits
agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de
produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1, 2
et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord
euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés
européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc,
d’autre part (JO L 241, p. 2),
LE TRIBUNAL (huitième chambre),
composé de M. D. Gratsias (rapporteur), président, Mme M. Kancheva et M. C. Wetter, juges,
greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 juin 2015,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
Sur le statut international du Sahara occidental
1 Le
Sahara occidental est un territoire du nord-ouest de l’Afrique, bordé
par le Maroc au nord, l’Algérie au nord-est, la Mauritanie à l’est et au
sud, tandis que sa côte ouest donne sur l’Atlantique. Il a été colonisé
par le Royaume d’Espagne à la suite de la conférence de Berlin
(Allemagne) de 1884 et, depuis la seconde guerre mondiale, il a
constitué une province espagnole. À la suite de son indépendance en
1956, le Royaume du Maroc a revendiqué la « libération » du Sahara
occidental, considérant que ce territoire lui appartenait.
2 Le
14 décembre 1960, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations
unies (ONU) a adopté la résolution 1514 (XV) sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
3 En
1963, à la suite d’une transmission de renseignements par le Royaume
d’Espagne en application de l’article 73, sous e), de la charte des
Nations unies, l’ONU a inscrit le Sahara occidental sur sa liste des
territoires non autonomes. Il y figure toujours.
4 Le
20 décembre 1966, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la résolution
2229 (XXI) sur la question de l’Ifni et du Sahara espagnol, réaffirmant
le « droit inaliénable d[u] peupl[e] [...] du Sahara espagnol à
l’autodétermination ». Elle a demandé au Royaume d’Espagne, en tant que
puissance administrative, d’« arrêter le plus tôt possible, en
conformité avec les aspirations de la population autochtone du Sahara
espagnol et en consultation avec les gouvernements marocain et
mauritanien et toute autre partie intéressée, les modalités de
l’organisation d’un référendum qui sera[it] tenu sous les auspices de
l’[ONU] afin de permettre à la population autochtone du territoire
d’exercer librement son droit à l’autodétermination ».
5 Le
requérant, le Front populaire pour la libération de la saguia-el-hamra
et du rio de oro (Front Polisario), a été créé le 10 mai 1973. Aux
termes de l’article 1er de ses statuts, établis lors de son
treizième congrès en décembre 2011, il est « un mouvement de libération
nationale, fruit de la longue résistance sahraouie contre les diverses
formes d’occupation étrangère ».
6 Le
20 août 1974, le Royaume d’Espagne a informé l’ONU qu’il se proposait
d’organiser, sous les auspices de cette dernière, un référendum au
Sahara occidental.
7 Par
sa résolution 3292 (XXIX) sur la question du Sahara espagnol, adoptée
le 13 décembre 1974, l’Assemblée générale de l’ONU a décidé de demander à
la Cour internationale de justice un avis consultatif portant sur la
question de savoir si le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet el
Hamra) était, au moment de sa colonisation par le Royaume d’Espagne, un
territoire sans maître (terra nullius). Dans l’hypothèse où la réponse à
cette première question serait négative, il a également été demandé à
la Cour internationale de justice de se prononcer sur la question des
liens juridiques du Sahara occidental avec le Royaume du Maroc et
l’ensemble mauritanien. En outre, l’Assemblée générale de l’ONU a invité
le Royaume d’Espagne, qu’elle a qualifié de puissance administrative, à
surseoir au référendum qu’elle envisageait d’organiser au Sahara
occidental, tant qu’elle ne se serait pas prononcée sur la politique à
suivre pour accélérer le processus de décolonisation du territoire. Elle
a également prié le comité spécial chargé d’étudier la situation en ce
qui concerne l’application de sa résolution mentionnée au point 2
ci‑dessus « de suivre la situation sur le territoire, y compris l’envoi
d’une mission de visite dans le territoire ».
8 Le
16 octobre 1975, la Cour internationale de justice a rendu l’avis
consultatif qui lui avait été demandé (Sahara occidental, avis
consultatif, CIJ Recueil 1975, p. 12). Selon cet avis, le Sahara
occidental (Rio de Oro et Sakiet el Hamra) n’était pas un territoire
sans maître (terra nullius) au moment de la colonisation par le Royaume
d’Espagne. La Cour internationale de justice a également relevé dans son
avis que le Sahara occidental avait, avec le Royaume du Maroc et avec
l’ensemble mauritanien, des liens juridiques, mais que les éléments et
renseignements portés à sa connaissance n’établissaient l’existence
d’aucun lien de souveraineté entre le Sahara occidental, d’une part, et
le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien, d’autre part. Elle a
ainsi affirmé, au point 162 de son avis, qu’elle n’avait pas constaté
l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la
résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de l’ONU, du 14 décembre
1960, sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
(voir point 2 ci-dessus) quant à la décolonisation du Sahara occidental
et, en particulier, l’application du principe d’autodétermination grâce à
l’expression libre et authentique de la volonté des populations du
territoire.
9 Au
cours de l’automne 1975, la situation au Sahara occidental s’est
détériorée. Dans un discours prononcé le jour même de la publication de
l’avis susmentionné de la Cour internationale de justice, le roi du
Maroc, considérant que « tout le monde » avait reconnu que le Sahara
occidental appartenait au Maroc et qu’il ne restait aux Marocains qu’à
« occuper [leur] territoire », a appelé à l’organisation d’une « marche
pacifique » vers le Sahara occidental, avec la participation de 350 000
personnes.
10 Le
Conseil de sécurité de l’ONU (ci-après le « Conseil de sécurité ») a
fait appel aux parties concernées et intéressées afin qu’elles fassent
preuve de retenue et de modération et a exprimé sa préoccupation à
l’égard de la situation grave dans la région par trois résolutions sur
le Sahara occidental, à savoir les résolutions 377 (1975), du 22 octobre
1975, 379 (1975), du 2 novembre 1975, et 380 (1975), du 6 novembre
1975. Dans la dernière de ces résolutions, il a déploré l’exécution de
la marche annoncée par le roi du Maroc et a demandé au Royaume du Maroc
le retrait immédiat du territoire du Sahara occidental de tous les
participants à ladite marche.
11 Le
14 novembre 1975, une déclaration de principe sur le Sahara occidental
(accords de Madrid) a été signée à Madrid (Espagne) par le Royaume
d’Espagne, le Royaume du Maroc et la République islamique de Mauritanie.
Dans cette déclaration, le Royaume d’Espagne a réitéré sa résolution de
décoloniser le Sahara occidental. En outre, il a été convenu que les
pouvoirs et responsabilités du Royaume d’Espagne, en tant que puissance
administrative du Sahara occidental, seraient transférés à une
administration tripartite temporaire.
12 Le
26 février 1976, le Royaume d’Espagne a informé le Secrétaire général
de l’ONU que, à compter de cette date, il mettait fin à sa présence dans
le territoire du Sahara occidental et qu’il se considérait désormais
déchargé de toute responsabilité de caractère international relative à
son administration. Entretemps, un conflit armé entre le Royaume du
Maroc, la République islamique de Mauritanie et le Front Polisario avait
éclaté au Sahara occidental.
13 Le
14 avril 1976, le Royaume du Maroc et la République islamique de
Mauritanie ont signé une convention relative au tracé de leur frontière,
aux termes de laquelle ils se partageaient le territoire du Sahara
occidental. Toutefois, en application d’un accord de paix conclu en août
1979 entre elle et le Front Polisario, la République islamique de
Mauritanie s’est retirée du territoire du Sahara occidental. À la suite
de ce retrait, le Maroc a étendu son occupation au territoire évacué par
la Mauritanie.
14 Dans
sa résolution 34/37, du 21 novembre 1979, sur la question du Sahara
occidental, l’Assemblée générale de l’ONU a réaffirmé « le droit
inaliénable du peuple du Sahara occidental à l’autodétermination et à
l’indépendance » et s’est félicitée de l’accord de paix conclu entre la
République islamique de Mauritanie et le Front Polisario (point 13
ci‑dessus). Elle a en outre vivement déploré « l’aggravation de la
situation découlant de la persistance de l’occupation du Sahara
occidental par le Maroc et de l’extension de cette occupation au
territoire récemment évacué par la Mauritanie ». Elle a demandé au
Royaume du Maroc de s’engager lui aussi dans la dynamique de la paix et,
à cet effet, elle a recommandé que le Front Polisario, « représentant
du peuple du Sahara occidental, participe pleinement à toute recherche
d’une solution politique juste, durable et définitive de la question du
Sahara occidental ».
15 Le
conflit armé s’est poursuivi entre le Front Polisario et le Royaume du
Maroc. Toutefois, le 30 août 1988, les deux parties ont en principe
accepté des propositions de règlement avancées, notamment, par le
Secrétaire général de l’ONU. Ce plan reposait sur un cessez-le-feu entre
les parties en conflit et prévoyait une période transitoire qui devait
permettre l’organisation d’un référendum d’autodétermination sous le
contrôle de l’ONU. Par sa résolution 690 (1991), du 29 avril 1991, sur
la situation concernant le Sahara occidental, le Conseil de sécurité a
établi sous son autorité une mission des Nations unies pour
l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Après le
déploiement de la MINURSO, le cessez-le-feu conclu entre le Royaume du
Maroc et le Front Polisario a globalement été respecté, mais le
référendum n’a pas encore été organisé, bien que les efforts en ce sens
et les pourparlers entre les deux parties intéressées continuent.
16 Actuellement,
la plus grande partie du territoire du Sahara occidental est contrôlée
par le Royaume du Maroc, alors que le Front Polisario contrôle une
portion de moindre taille et très peu peuplée, à l’est du territoire. Le
territoire contrôlé par le Front Polisario est séparé du territoire
contrôlé par le Royaume du Maroc par un mur de sable construit par ce
dernier et surveillé par l’armée marocaine. Un nombre important des
réfugiés originaires du Sahara occidental vivent dans des camps
administrés par le Front Polisario, situés sur le territoire algérien,
près du Sahara occidental.
Sur la décision attaquée et ses antécédents
17 L’accord
euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés
européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc,
d’autre part (JO 2000, L 70, p. 2, ci‑après l’« accord d’association
avec le Maroc ») a été conclu à Bruxelles le 26 février 1996.
18 En vertu de son article 1er,
il établit une association entre, d’une part, la Communauté européenne
et la Communauté européenne du charbon et de l’acier (désignées ensemble
dans l’accord d’association avec le Maroc comme étant la
« Communauté ») ainsi que leurs États membres et, d’autre part, le
Royaume du Maroc. L’accord d’association avec le Maroc est subdivisé en
huit titres relatifs, respectivement, à la libre circulation des
marchandises, au droit d’établissement et aux services, aux
« [p]aiements, [aux] capitaux, [à la] concurrence et [aux] autres
dispositions économiques », à la coopération économique, à la
coopération sociale et culturelle, à la coopération financière et,
enfin, aux dispositions institutionnelles générales et finales. L’accord
d’association avec le Maroc comporte également sept annexes dont les
six premières énumèrent les produits visés par certaines dispositions de
ses articles 10, 11 et 12 (qui figurent tous sous le titre afférent à
la libre circulation des marchandises), alors que la septième est
relative à la propriété intellectuelle, industrielle et commerciale. En
outre, sont annexés à l’accord d’association avec le Maroc cinq
protocoles, relatifs, respectivement, au régime applicable à
l’importation dans la Communauté des produits agricoles originaires du
Maroc, au régime applicable à l’importation dans la Communauté des
produits de la pêche originaires du Maroc, au régime applicable à
l’importation au Maroc des produits agricoles originaires de la
Communauté, à la définition de la notion de « produits originaires » et
aux méthodes de coopération administrative et, enfin, à l’assistance
mutuelle en matière douanière entre les autorités administratives. Les
protocoles nos 1, 4 et 5 comportent leurs propres annexes,
qui, dans le cas du protocole n° 4 relatif à la définition de la notion
de « produits originaires », sont très volumineuses.
19 L’accord
d’association avec le Maroc, les protocoles qu’il comporte en tant
qu’annexes ainsi que les déclarations et échanges de lettres annexés à
l’acte final ont été approuvés au nom de la Communauté européenne et de
la Communauté européenne du charbon et de l’acier par la décision
2000/204/CE, CECA du Conseil et de la Commission, du 24 janvier 2000,
relative à la conclusion de l’accord d’association avec le Maroc (JO
L 70, p. 1).
20 En
vertu de la décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant
la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union
européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation
réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles
transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des
protocoles nos 1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux
modifications de l’accord d’association avec le Maroc (JO L 241, p. 2,
ci‑après la « décision attaquée »), le Conseil de l’Union européenne a
approuvé, au nom de l’Union européenne, l’accord sous forme d’échange de
lettres entre l’Union et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de
libéralisation réciproques, au remplacement des protocoles nos 1 à 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord d’association avec le Maroc.
21 Le texte de l’accord approuvé par la décision attaquée, qui a été publié au Journal officiel de l’Union européenne,
supprime l’article 10 de l’accord d’association avec le Maroc, qui fait
partie de son titre II, relatif à la libre circulation des
marchandises, et apporte des modifications aux articles 7, 15, 17 et 18
du même titre ainsi qu’à l’intitulé du chapitre II qui figure également
sous ce titre. En outre, l’accord approuvé par la décision attaquée
remplace le texte des protocoles nos 1 à 3 de l’accord d’association avec le Maroc.
Procédure et conclusions des parties